Fameux nettoyeurs de tranchées arborant un protège corporel.
I - CUIRASSES PARE-BALLES LOUPPE / HESLOUIN
Soldats français dans une tranchée dont l'un d'eux fait usage de protèges corporels de façon peu commune !
Cette protection semble être la première à avoir été livrée au front, il faut dire que ces origines sont lointaines, remonter le temps semble ainsi être nécessaire pour en savoir plus à son propos. En effet, ce n'est autre que le maire de Locronan ( commune du département du Finistère, région Bretagne ), Mr Brolivet, qui dès 1897/1898 eu l'idée de fabriquer un protège thorax constitué de ressorts et d'étoffes. Il fit part de ce projet au Ministère de la Guerre mais ce dernier fut malheureusement rejeté. De ce fait, ce pare-balles trouva une toute autre utilité dans les champs et se transforma en un pare-cornes protégeant ainsi les pommiers des coups que peuvent y donner les vaches.
Ce n'est qu'en 1904 que cette idée de protège thorax pour soldat fut reprise et améliorée par une entreprise portant comme raison sociale le nom de "Simmonnet, Heslouin et Cie".
Mr Simmonet, ancien fabricant de papier devenu depuis peu fabricant de fulmicoton ( susbtance explosive ), décida de s'associer avec Mr Heslouin, chef du cabinet du Préfet du Finistère, ainsi qu'à Mr Louppe, ingénieur alors directeur de la poudrerie de Pont-de-Buis. Ils décidèrent tous trois d'implanter leur usine dans une petite commune située au fin fond de la Manche, à Saint-Hilaire-du-Harcouët.
Ce nouvel entrain porté par ces 3 hommes pour ce type d'équipements n'est pas innocent puisque la guerre Russo-Japonaise ( Février 1904 - Septembre 1905 ) fais rage de l'autre côté du globe. Pour preuve, la société rentra directement en pourparlers avec le gouvernant Russe pour une plausible fourniture de cuirasses censées protéger les hommes des balles. Après réflexion, l'idée parue séduisante et c'est ainsi que l'Armée passât commande de 100 000 pare-balles, au prix de 60 francs l'unité, afin d'équiper ses fantassins en faction dans le Mandchourie.
2 Millions de franc furent versés en acompte, soit le tiers, mais à réception des premières cuirasses, le colonel de Zabulewski s'insurgea! En effet, les protèges thorax ne pesaient en aucun cas le poids spécifié dans le contrat, celui-ci stipulant que ces derniers ne devaient excéder 4.100kg. Les tests effectués par ailleurs à Pont-de-Bluis s'avérèrent désastreux, les balles traversant de part en part les cuirasses! De soi-disant modifications furent effectuées afin de consolider cette protection et la rendre plus légère mais de futurs tests demandés feront de ce contrat passé entre la société et l'Armée Russe un incroyable scandale sur fond de mesures tronquées et de faux poinçons; litige qui se réglera d'ailleurs devant les tribunaux !
Il faudra attendre le début de la Grande Guerre pour réentendre parler de ces cuirasses. En effet, le Tsar pris de cours, l'Allemagne lui ayant déclaré la guerre le 1er Août 1914, va faire des mésaventures passées quelque chose d'oublié en décidant de passer commande dès les premiers mois du conflit auprès de la petite firme de production normande, mais en vain, l'usine ayant fermé suite aux déboires rencontrés à l'époque.
C'est donc sans doute cette commande qui mit la puce à l'oreille de notre Etat-Major puisqu'il décida peu de temps après de mettre à l'épreuve des balles, lors d'essais officiels conduits à Rennes et à Bordeaux, des exemplaires de protections individuelles issus des stocks de l'ancienne usine. Il en résulte que toute balle de fusil ou de mitrailleuse tirée à plus de 230 mètres de distance s'aplatit sur l'acier de cette protection. Ainsi, ces tests jugés concluants par le Ministère de la Guerre vont permettre à l'usine "Simmonnet, Heslouin et Cie" de réouvrir ses portes. Pour cela, l'Armée française va même jusqu'à mettre à contribution des Territoriaux ( soldats d'un certain âge ), en plus du personnel ouvrier déjà existant, afin de faire tourner à plein régime ce lieu!
Démonstration réalisée au début de la guerre pour présenter le protège abdomen qui va bientôt être distribué sur le front.
B) Son descriptif.
Après avoir traité des origines de cette cuirasse, nous faut maintenant revenir aux fondamentaux et parler de celle-ci tout en oubliant pas de mentionner ses particularités.
•Cuirasse pare-balles Heslouin / Louppe ( modèle unique )
Ce pare-balle qui protège la partie thoracique de son porteur pèse près de 2.4 kilos et est fabriqué dans un acier de composition spéciale ayant pour but de résister à différents projectiles, ou tout du moins à en limiter la pénétration. Ce dernier arbore une forme particulière dont une échancrure importante réalisée du côté droit ou gauche permet au soldat de pouvoir épauler son fusil et ce sans grande difficulté.
Par ailleurs, une housse de couleur écrue réalisée en forte toile l'enveloppe afin d'éviter au maximum tous sons de cloche pouvant en émaner lors de mouvements de son porteur mais également pour en préserver le métal, un peu à l'instar de la gourde dont est équipé le fantassin. Pour pourvoir être portée, la cuirasse pare-balles Heslouin / Louppe est munie de courroies cousues qui doivent être passées autour des hanches mais également du cou, puis réglées grâce à un système à boucle pour celle du bas, afin que cette protection soit au maximum maintenue au corps de la personne qui la porte.
Protège abdomen exposé au Musée de la Grande Guerre de Meaux.
Autre vue d'un groupe de nettoyeurs de tranchée équipé de pare-balle Heslouin.
Des découvertes faites sur le terrain ont permis de prouver l'existence d'une seconde variante de la protection traitée ci-dessus. Celle-ci reprend le bouclier précédemment décrit mais est complétée par un second élément.
L'ensemble, d'un poids de 3.2 kilos environ, permet ainsi de protéger la poitrine du porteur mais également son ventre; le tout étant désolidarisé, le soldat ne trouve aucune peine à se courber même si le nombre de parties basses de cette protection découvertes seules sur le terrain auraient tendance à faire croire le contraire, indiquant que le soldat n'ait pas hésité à supprimer lui-même ce complément qui apparaît comme de trop pour un ensemble dont l'efficacité réelle est largement entachée par les nombreux essais.
II - CUIRASSE PARE-BALLES LOUPPE ( GRAND MODELE )
Bien qu'il protège d'un seul tenant le thorax et l'abdomen de son porteur, il ne fait aucun doute que le port de cette cuirasse pare-balles de grande taille soit des plus désagréables. En effet, même si la protection qu'il confère est accrue par rapport au petit modèle désigné comme Cuirasses pare-balles Louppe / Heslouin, cet imposant pare-balles devait être des plus gênants pour le soldat, rendant désagréable tous déplacements ou même de banals gestes comme se baisser tout simplement.
De ce fait, une question parmi tant d'autres vient à se poser :
La cuirasse pare-balles Louppe ( grand modèle ) peut-elle être considérée comme une production intermédiaire réalisée peu de temps après la production des modèles de petites tailles ?
Dès lors, on peut remettre en doute l'idée avancée plus haut et considérer que les boucliers Heslouin en 2 parties ( précédemment décrits ) sont de production plus tardive et ont été réalisés dans l'optique de contourner les inconvénients rencontrés lors du port de la cuirasse Louppe de grande taille… à moins qu'il ne s'agisse tout simplement d'une production totalement indépendante ?
Encore une des innombrables questions qui restent sans réponse et qui font que notre soif de connaissance n'est pas prête de s'arrêter!
A savoir que c'est après des essais effectués au sein du 56 et 59ème B.C.P. ( Bataillon de Chasseurs à Pied ), conduits sous les ordres du Lieutenant-Colonnel Driant en Novembre 1915, que vont être produits environ 30 000 exemplaires ( chiffre à vérifier ) de cette fameuse cuirasse. Cette dernière semble être d'une assez bonne protection balistique, résistant aux balles de mitrailleuses et fusils sans perforation ni déformation, même si elle est jugée lourde et encombrante, peu adaptée au conflit qui est en train de se jouer sur le champ de bataille où l'environnement ne lui laisse guère d'avenir.
A) Cuirasse pare-balles Louppe du 1er type.
Par ailleurs, on notera l'épaisseur importante de cette protection due à la superposition d'épaisseurs de tissu censée atténuer la pénétration des projectiles à l'impact.
B) Cuirasse pare-balles Louppe du 2nd type.
De ce fait, cette protection revenant à une version plus simplifiée se portera dès à présent à l'aide de bretelles cousues dont l'une, fixe, est à enfiler autour du cou, tandis qu'une seconde, réglable, est à adapter à la taille du porteur.
III- CUIRASSE PARE-BALLES DAIGRE
D'allure semblable bien que totalement différente, cette nouvelle protection a été inventée par Mr Daigre et semble avoir été développée également au cours de l'année 1915, elle se décline d'ailleurs en 2 versions.
Soumise tout comme sa consœur à des essais entrepris chez les chasseurs du 56ème et 59ème B.C.P. ( groupe Driant ) en Novembre 1915, cette cuirasse se révèle être d'une capacité d'arrêt importante, les balles allemandes, même en version "dum-dum" ( inversée ) s'aplatissent sur le métal et ce même à courte portée. Elle semble par ailleurs même être préférée au modèle Louppe !
Cependant, le lieutenant-Colonnel Driant qui est à la tête de ces tests reste tout aussi critique à son égard, n'étant pas convaincu de leur efficacité réelle. Cela n'empêchera pas que cette dernière soit produite à environ 20 000 pièces ( chiffre à vérifier ), un document américain indiquant même le rendement journalier de cette dernière, soit 2000 protèges, sans oublier d'en préciser également le coût de fabrication à l'époque qui s'élève à 22 Dollars.
A savoir que la cuirasse pare-balles Daigre pouvait être utilisée avec le modèle Louppe en formation de combat de deux types, à 2 ou 3 rangs.
A) Cuirasse pare-balles Daigre du 1er type.
B) Cuirasse pare-balles Daigre du 2nd type.
Par ailleurs, cette nouvelle version de la protection Daigre, tout comme pour le modèle Louppe, délaisse l'utilisation du brelage spécifique. Ce dernier laisse dorénavant place à deux courroies rivetées à l'intérieur même de la housse. Celle du haut, à boucle et donc réglable, est à adapter autour du cou tandis que la large ceinture du bas qui s'adapte de manière différente est à passer autour de la taille afin que soit plaquée au mieux au corps la cuirasse.
De plus, contrairement au modèle Louppe du second type, il n'est plus question d'abandon du système permettant le port de la protection en tant que bouclier portatif. En effet, deux passants toujours rivetés ( dont l'un d'eux est réglable ) permettent le passage du bras.
Pour finir, il est utile de mentionner que sur l'exemplaire analysé daté de 1917, des marquages à l'encre noire sont cette fois-ci apposés sur l'avant de la housse. Ces derniers font sans doute référence comme à l'habitude à la taille du modèle.
IV - LA CUIRASSE ADRIAN
Cette cuirasse qui se décline en 3 modèles est sans doute la moins courante; elle a pourtant été conçue par un célèbre Général, Louis Adrian, à qui l'on doit notamment le célèbre casque d'acier portant son nom. Il est difficile de définir le nombre exact de protections de ce genre produites mais il semblerait qu'une estimation de 100 000 pièces environ soit avancée.
Il y a de fortes présomptions que la résistance au feu de la cuirasse Adrian soit faible même si je n'ai pu consulter de document officiel traitant d'essais réalisés. En effet, il n'y a qu'à observer le peu d'exemplaires de plaque ventrale découvert sur le terrain pour se faire une idée, certains étant truffés littéralement de trous ! Il ne faut pas oublier que cette protection est faite de tôle, il n'est donc pas étonnant également que ce protège abdomen soit considéré comme rare et souvent dans un triste état de conservation lors de sa trouvaille.
A) La cuirasse Adrian du 1er type.
C'est en Décembre 1915 que fut élaboré le premier modèle de protection Adrian qui semble être resté cependant au stade de prototype puisque jugé encombrant et bien trop lourd. En effet, ce dernier se compose d'épaulières rattachées à un plastron fait de métal, le tout complété par un protège abdominal auquel sont adjointes des tassettes, c'est dire le poids que devait supporter le soldat qui en était muni comme on a pu le dire, sans parler des difficultés de mouvements auxquels ce dernier était confronté.
Soldat muni d'une cuirasse Adrian du 1er type ainsi que d'un protège bras
( protection qui sera traitée plus bas )
B) La cuirasse Adrian du 2nd type.
Il faudra attendre l'automne 1916 pour voir le projet réellement aboutir. Ne seront ainsi retenues que la ceinture abdominale et les tassettes.
Ce modèle se compose donc d'une plaque dont la forme incurvée lui permet d'être positionnée autour de l'abdomen du porteur. Cette dernière se compose de deux fines couches de tôle d'acier dont les rebords sont repliés ( cette superposition apportant une résistance accrue ). Trois autres parties métalliques de taille équivalente qui portent le nom de "tablier" sont rattachées à cette plaque centrale grâce à un morceau de cuir tout simplement cousu.
A savoir que cette cuirasse abdominale Adrian existe en trois tailles. Ainsi à l'intérieur de la plaque on retrouve tamponnée en noir l'une de ces initiales: G ( gros ), M ( moyen ), P ( petit ).
2 cuirasses Adrian du deuxième type provenant pour l'exemplaire de gauche, du musée de Meaux, et de Montpellier pour celle de droite.
Ce modèle de protection a essentiellement pour but de protéger la partie abdominale du soldat; son port ayant ainsi pour objectif d'éviter entre autres des blessures liées à l'arme blanche, lors notamment d'un combat au corps à corps où l'usage d'une baïonnette peut être fait. En outre, le tablier dont est munie cette cuirasse renforce encore un peu plus son pouvoir protecteur en couvrant l'avant mais également le flanc du soldat dont notamment le haut de ses cuisses ainsi que son bassin. Ces tassettes peuvent donc apparaître dès lors comme utile dans un franchissement de réseaux de barbelés, le porteur ne s'accrochant pas ainsi dans ce véritable mur qui peut parfois s'avérer être un piège mortel et qui jonchent le sol sur des centaines de kilomètres.
Fantassin français posant fièrement à côté d'une multitude d'engins nouvellement touchés par son unité
dont une cuirasse Adrian du 2nd type qui semble lui aller à merveille.
Exemplaire recouvert de drap bleu horizon présenté dans un musée de Montpellier.
Exemplaire de grande taille d'une cuirasse Adrian de fabrication tardive.
On notera notamment l'absence de crochets ainsi que de l'enveloppe de cette dernière.
Ceinture annexe en drap BH pour protection Adrian.
V - LES EPAULETTES PROTECTRICES ADRIAN
Epaulettes protectrices élaborées par le Général Adrian.
Soldat français du 82ème Régiment d'infanterie équipé d'une telle protection.
Ces épaulettes protectrices étaient directement cousues à même l'uniforme du soldat, voire dans certains cas, fixées aux épaules à l'aide de 3 boutons ( 1 à l'avant, 2 à l'arrière ) cousus sur la capote comme en atteste la publicité d'époque du fabricant.
A savoir que de nombreuses copies inondent le marché depuis bien longtemps, dont certaines avec des tampons blancs à l'intérieur faisant référence à un "dépôt d'infanterie" de 1915, méfiance donc !
VI - LE PROTEGE BRAS
2 vues d'un soldat français équipé du fameux protège bras ainsi que d'une cuirasse Adrian du premier type.
VII - LE BOUCLIER DU SOLDAT
Dénommé Bouclier du soldat, ce modèle a été inventé par une femme, Mademoiselle Pauline Dumothier, professeur de chant à Autun ( département de Saône-et-Loire en Bourgogne ) et fut fabriqué à 200km de là dans un petit atelier de la commune de Clermont-Ferrand ( département du Puy-de-Dôme en Auvergne ) dirigé par Madame Meya qui n'est autre qu'une couturière de la ville.
De nombreux exemplaires de cette protection furent offerts à titre gracieux par les Dames de l'œuvres du Bouclier ( c'est comme cela que ces ouvrières se dénommaient ) aux soldats du 13e Corps rattaché à la Ière Armée lors de la mobilisation en 1914. Ceci n'est pas étonnant puisque ces hommes sont pour la plupart des Auvergnats issus de régiments très divers comme entre autres ceux d'infanterie, d'artillerie, de chasseurs, du génie, etc…
Ainsi pour finir, nous pouvons donc dire que ce plastron-bouclier est l'exemple type et illustre bien la volonté des gens à cette époque de contribuer à leur manière à l'effort de guerre qui est demandé par le pays et dont les fils ont été envoyés loin de leur contrée au combat !
Sources:
- Journal "l'Humanité" du 26 Août 1905
- Journal "Le Stéphanois" de Novembre 1911
- Revue "Pages de gloire" - Janvier 1915
- Description et mode d'emploi de la Cuirasse Adrian édités par l'Armée Française
- Casques et armures dans la guerre moderne par Bashford Dean - University of Toronto ( Canada ) / Yale University Press 1920
- Tome 2 de l'ouvrage "L'Armée française" de Laurent Mirouze
- 1914-1918 La Protection individuelle du combattant par Patrice Delhomme - La Gazette des uniformes
Photographies:
- Archive et collection personnelle
- Dany Klein
- Jérémie Raussin
- Claude Balmeefrezol ( Club AMM / www.maquetland.com )
- Alain Fouillade
- Eric Baradon
- David Kittler
- Michel Timperman
- Gwendal Flament
- Christophe Dutrône
- Alain Gourdis
- Jean-Paul Wilmart ( Belgique )
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