Les Pistolets lance-fusées allemands
de la Grande Guerre




Nous sommes en première ligne avec ce soldat muni d'un lance-fusées Hebel prêt à faire feu.


L'Armée Allemande n'aurait jamais pu imaginer que les pistolets lance-fusées ( de son nom original Leutch-Pistol ) seraient utilisés à grande échelle et ce durant les 4 années de guerre dans laquelle elle est engagée.
En effet à l'époque, très peu de moyens sont mis à disposition des troupes; les ondes hertziennes sont très peu utilisées et ce sont des kilomètres de câbles téléphoniques qui doivent être déroulés pour permettre la transmission de messages divers et variés. Ainsi les pistolets signaleurs allemands, déjà en service avant la guerre, vont s'avérer d'une redoutable efficacité d'autant plus que son ennemi principal, la France, n'en est pas encore dôtée !

Pour mieux organiser notre réflexion, nous traiterons dans un premier temps des principaux pistolets lance-fusées utilisés par l'Armée Impériale, puis dans une deuxième partie des fusils transformés en arme de signalisation pour enfin envisager, dans une troisième et dernière partie, les cartouches employées ainsi que leur conditionnement.



I - LES DIFFERENTS PISTOLETS LANCE-FUSEES


               A) Le pistolet de signalisation Hebel :



Dans une tranchée aux cotés d'un chat, l'un des soldats est équipé
d'un Hebel ainsi que d'une crécelle pour donner l'alerte en cas d'attaque aux gaz.


Ce pistolet dénommé Hebel par les collectionneurs du monde entier est une arme de conception moderne et de fabrication soignée. C'est l'un des rares pistolets pour lequel nous pouvons déterminer avec une certaine précision l'année d'adoption, 1894, et ce grâce à un manuel d'instruction allemand datant du 30 avril de cette même année.
En avance sur son temps, il sera dans un premier temps distribué aux pionniers, puis très vite étendu à l'infanterie.

Le pistolet Hebel, très robuste, est réalisé en acier usiné. Toutes ses pièces finies à la main sont bronzées en noir, sauf le chien et la détente qui sont polis en blanc glacé et les vis qui sont jaunies ou bleuies à la flamme.
Ce pistolet signaleur ayant été construit par une multitude de fabricants, presque tous ceux que l'on rencontre sont différents sur de légers détails comme, par exemple, la réalisation des poignées en bois qui peuvent être en noyer, voir plus rarement en hêtre. Ils présentent cependant tous et à peu de choses près les mêmes dimensions, 227 à 234mm de longueur de canon pour une longueur totale comprise entre 355 et 360mm environ, et arborent un poids important de près de 1,5kg.



Pistolet lance-fusées Hebel du fabricant non-identifié L.B.J.
attribué à un régiment de chasseurs alpins comme en atteste le marquage sur l'armature de crosse.


Cette arme dispose d'un double verrouillage de son canon; canon qui d'ailleurs est très bien usiné puisque celui-ci ne prend aucun jeu malgré une utilisation intensive comme le prouvent les armes découvertes, et ce quel que soit leur état. L'ouverture est commandée par un levier placé devant le pontet tandis que le système à bascule, dit "à brisure", est muni d'un extracteur automatique. Cet ingénieux procédé sera d'ailleurs repris sur la plupart des pistolets lance fusées adoptés par les allemands avant la Seconde Guerre Mondiale.
La carcasse du pistolet lance-fusées Hebel comporte, sur le côté gauche, une plaque de recouvrement maintenue par 3 vis qui permet d'accéder à une platine dont la qualité n'a rien à envier à notre revolver réglementaire modèle 1873. Cette dernière est à simple action et dispose d'un chien à rebondissement qui lui permet de revenir automatiquement sur le cran de sûreté.
A savoir que le pontet n'est pas solidaire de la carcasse et peut être ôté après que la plaque de recouvrement ait été retirée.

On retrouve une multitude de marquages estampillés à différents endroits du pistolet lance-fusées Hebel.
Ainsi au niveau de la bascule, sur le côté gauche de la carcasse, figurent le numéro de série de l'arme et le sigle du fabricant, voire ses initiales. On en comptabilise une bonne dizaine dont certains ont pu être identifiés avec certitude. La plupart d'entre eux sont situés dans le Land de Thuringue, région du centre de l'Allemagne. On retrouve ainsi parmi eux :
- August Menz ( marquage A.M. ) à Sühl
- Bohling & Eschrich ( marquage B&E )
- Bernard Paaz ( marquage B.P. ) à Zella-Mehlis
- Bruno Weis ( marquage B.W. ) à Goldlauter au nord de Sühl
- Chritoph Funk ( marquage Chr. F. ) à Sühl
- Emil Barthelmes ( marquage B.E. ) de Zella-Mehlis
- Emil Kerner ( marquage E.K. ) à Sühl
- Franz Burkhardt ( marquage FB ) à Sühl
- Fritz Langenhan ( marquage F.L. ), firme basée aux environs de Sühl à Zella-Mehlis comme bon nombre d'usines de l'époque
- Gebrüder Rempt ( marquage Gebr. R. ) à Sühl
- Greifelt et Compagnie ( marquage G & Co ), célèbre famille d'armurier implantée à Suhl depuis 1885. Pour information, un exemplaire de lance-fusée de ce fabricant dispose sur la partie intérieure de son armature de crosse, du marquage en toutes lettres de celui-ci qui surmonte la ville d'implantation de cette firme de production, petit détail rarement observé !
- Julius Gottfrid Anschütz ( marquage J.G.A. ), manufacture fondée en 1856 dans la ville de Zella-Mehlis
- Immauel Meffert ( marquage M )
- Oskar Merkel ( marquage O.M. ) à Sühl
- Oskar Will ( marquage O.W. ) à Sühl
- G. Teschner & Co. ( marquage Tesco ) à Francfort
- Valentin Christian Schillings ( marquage V.C.S. ), firme de Sühl

Le côté droit de la carcasse du pistolet signaleur Hebel et le plan latéral de ce même côté du canon disposent quant à eux de poinçons relatifs aux bancs d'épreuve et émis sous forme de lettres couronnées ( A, B, S ou U ) mais également du fameux aigle impérial. Il arrive également parfois de rencontrer la désignation du calibre ( 26.65mm ) sous forme de cercle renfermant le chiffre 4 ainsi que la date de production de l'arme.
Par ailleurs, il est possible de trouver, comme sur la plupart des pièces d'équipement de cette armée, des marquages régimentaires sur la partie avant ou arrière de l'armature de la poignée mais également sur le côté gauche de la carcasse.


Pour continuer notre étude, veuillez trouver ci-dessous la photographie d'un étonnant modèle de lance fusée Hebel découvert sur le terrain. Cette trouvaille hors-norme, unique en son genre, nous présente une arme ordinaire dont la crosse est des plus étonnantes. En effet, cette dernière est moulée d'une seule pièce et est munie d'un dispositif de tir tout à fait original ( Abschussvorrichtung ) permettant d'effectuer des tirs verticaux lumineux destinés au repérage, notamment pour le réglage de tirs de l'Artillerie.


Pistolet lance-fusées Hebel pour tirs verticaux lumineux.


Ce type de lance-fusées était dénommé Pistole für senkrechten Leuchtschuss et était livré aux unités dans une caisse spécifique contenant également :
- 1dispositif de contrôle de verticalité ( Richtbolzen mit Dosenwage )
- 1 système de fixation double ( Doppelgelenkbaumschraube )
- 1 écouvillon de nettoyage ( Wischer, ferner )



Des cartouches de signalisation bien particulières qui s'illuminent en phase ascendante, et non en phase courbe lors de la retombée comme avec les fusées ordinaires, devaient être utilisées avec ce type d'arme. Ces dernières étaient conditionnées dans la caisse en plus des accessoires précités comme suit :
- 100 cartouches pour tir lumineux à charge unique ( Patronen für senkrechten Leuchtchuss 1 Ladung ) atteignant 50 mètres de hauteur
- 100cartouches pour tir lumineux à double charge ( Patronen für senkrechten Leuchtchuss 2 Ladung ) atteignant 180m de hauteur

A savoir qu'il pouvait être fait usage d'un modèle Hebel ordinaire dont on aurait ôté les plaquettes afin de pouvoir être fixé convenablement.

Ce dispositif de tir si particulier n'est pas sans rappeler le dispositif de fixation dont il était fait usage lors la seconde guerre mondiale et qui portait le nom de Einspannvornrichtung.



Dispositif de fixation pour lance-fusées employé durant la seconde guerre mondiale pour tir vertical.


En outre, il est important de rappeler que le pistolet lance-fusée Hebel sera adopté par le principal allié de l'Allemagne. Ainsi, l'Autriche-Hongrie produira un pistolet signaleur identique au modèle allemand si ce ne sont ses marquages et poinçons qui le trahiront ou encore l'absence de contre-vis au niveau de l'axe de bascule. Un décrochement plutôt droit de l'épaisseur de la carcasse, au centre de la plaque de recouvrement, et non pas courbe est également à constater.


Pistolet lance-fusée de l'Artilleriezugsfabrik implantée à Vienne.





Troupes d'assaut de l'Autriche-Hongrie ( k.u.k. Sturmbatallione ) posant fièremet
avec une multitude de matériels dont le fameux lance-fusées Hebel.



Par ailleurs, outre ce type de fabrication, on retrouve des productions bien spécifiques avec un système d'ouverture du canon tout à fait original dont voici deux modèles bien distincts.




Pour finir, il ne faut pas oublier que le pistolet signaleur Hebel sera produit après-guerre avec un canon court et employé ainsi par l'Allemagne durant le second conflit mondial. Bien que certains exemplaires à canon long soient utilisés tel quel après-guerre, de nombreux exemplaires se verront modifier et donc raccourcis! De ce fait, on peut retrouver des modèles estampillés de marquages qui permettent d'affirmer un emploi sous la république de Weimar ainsi que sous le III Reich.
Outre ces utilisations, on peut également mentionner que l'Armée Belge semble avoir réutilisé des modèles du pistolet Hebel ( certains parlant même d'exemplaires produits par le royaume lui-même ).
L'Armée Française semble avoir fait de même puisque des exemplaires, accompagnés de cartouches d'époque, étaient encore présents au début des années 90 dans les cabanes situées aux extrémités des pistes d'aviation, et censés être utilisés pour ordonner une remise de gaz en urgence au cours des lâchés en vol de nuit des jeunes recrues si l'exercice se déroulait mal. Ce modèle de pistolet signaleur qui faisait figure d'antiquité était souvent laissé de côté, un ordre radio étant suffisant, d'autant plus qu'un deuxième pistolet lance-fusées, cette fois-ci de fabrication française et bien plus moderne, était au cas où mis à disposition dans cette même "cabane Lustucru".


               B) Le pistolet de signalisation Kommandantur Lille :




Ce pistolet lance-fusée de fabrication rustique a été produit à Lièges durant l'occupation allemande de la Belgique ( Août 1914 / Novembre 1918 ) même si aucune date, même approximative, n'est avancée !
Il est entièrement réalisé en acier et arbore un bronzage noir, voir plus couramment une peinture Feldgrau, même si la plupart des exemplaires rencontrés en sont démunis; absence due très certainement aux perpétuels nettoyages auxquels se livrent les gens !
La longueur du canon de ce modèle est de 206mm, pour une longueur totale de 358mm.

Cette arme se compose d'un canon prolongé par un boîtier de culasse renfermant un percuteur linéaire.
Ce pistolet fonctionne en simple action, le percuteur étant armé manuellement à l'aide d'un bouton-tirette situé à l'arrière. L'ouverture se fait par rotation du canon autour d'un axe situé sur le côté gauche et est commandée par un bouton-poussoir. Le côté droit quant à lui, diamétralement opposé à cet axe, est muni d'un verrou qui fait également fonction d'extracteur.

Le numéro de l'arme est frappé sur le côté gauche du pistolet, à cheval sur les 2 parties rotatives. Les autres marquages se limitent à la lettre D et à une lettre I surmontée d'une couronne qui peuvent s'apparenter à des poinçons de contrôle. La partie supérieure gauche de la poignée en chêne comporte elle aussi une inscription dans un rectangle gravée profondément au feu, "MKD Lille" ( pour Militär Kommandantur Lille ).




A savoir que contrairement aux fabrications précoces, les futures productions disposeront dans un premier temps d'un pontet totalement différent avec armature de poignée aux angles plus ou moins prononcés et anneau de port puis, plus tardivement, d'un changement d'inscription dont l'intitulé sera "Kdtur Lille".
Cette armature de crosse renferme un ressort de rappel que l'on peut définir comme étant "à boudin" puisque ce dernier travaille en extension. La poignée, quant à elle, est composée de plaquettes fixées par deux vis traversantes ( la vis supérieure faisant office d'axe de détente ).

La production de ce pistolet lance-fusée doit avoisiner les 30 000 pièces environ puisque le plus grand numéro de série observé est légèrement inférieur.



Petit air de carnaval chez ces soldats allemands déguisés avec des effets français.
L'un d'entre eux arbore un fusil Lebel très certainement transformé en lance-fusée tandis qu'un autre dispose d'un modèle Kommandantur Lille.




               C) Le pistolet de signalisation Druckknopf :



Landwehr du B.E.B 55 dans une tranchée dont l'un fait mime de viser
avec un pistolet lance-fusée Druckknopf.


Druckknopf, c'est le nom donné à ce lance-fusées par le cercle des collectionneurs. Sa longueur est de 343mm pour un canon de 248 et son poids avoisine les 1.125kg.
Ce pistolet à canon long entièrement fabriqué en acier est de fabrication simpliste. Son système d'ouverture est d'ailleurs différent de ce que l'on a pu voir jusqu'à présent. En effet, le canon muni d'un extracteur automatique comporte un simple verrou dont l'ouverture est commandée par un bouton-poussoir situé sur le côté gauche de la carcasse ( système repris sur le célèbre LP 42 utilisé durant le second conflit mondial ).
La détente du pistolet lance-fusée Druckknopf est démunie de pontet, c'est ce que l'on appelle un type de détente "à éperon" ou encore détente " américaine " ou "mexicaine".
Par ailleurs, contrairement au Hebel, le percuteur de cette arme ne se trouve pas sur le chien mais sur la carcasse qui ne dispose pas de plaque de recouvrement de platine. Le mécanisme est comme à chaque fois à simple action.
La poignée, de forme arrondie, possède un anneau facilitant le port et ses plaquettes réalisées en noyer sont fixées par une seule et unique vis.

Les poinçons du banc d'épreuve, situés sur le côté droit du canon et de la carcasse, sont les mêmes que ceux apposés sur le Hebel. Les initiales du fabricant et le numéro de série se trouvent quant à eux sur le côté gauche de l'arme.




La seule et unique firme de production pour ce type de pistolet lance-fusée a pour initiale J.K.

A savoir que des variantes existent chez un même fabricant, très certainement dues à la période de production. Ainsi, entre Novembre 1915 et Février 1916, une modification a été apportée au niveau du système de fermeture du canon, très facilement repérable grâce à une entaille une fois celui-ci basculé.

Il est, je pense, nécessaire de signaler que ce pistolet signaleur aurait été produit avec un canon court même si je n'ai pu en voir moi-même. Cette production très certainement d'après-guerre serait intéressante à analyser, notamment du point de vue des numéros de série afin de la dater approximativement; le chiffre le plus élevé recensé des modèles originaux à canon long atteignant les 33957 !

Signalons par ailleurs la similitude de cette arme avec, entre autres, le pistolet signaleur Remington Mark III en service chez les Américains ! On décompte aussi deux autres pays, la Hollande et la Chine, qui ont également adopté pour leur Armée un pistolet lance-fusées très similaire au Druckknopf allemand.



II - LES MODELES SPECIFIQUES A L'AVIATION.



Avion allemand prêt à partir en reconnaissance.
Celui-ci est équipé d'un appareil photographique ainsi que d'un pistolet de signalisation Druckknopf.


Comme on a pu le voir, l'Armée de terre, avec notamment les pionniers dans un premier temps, fut dotée d'une panoplie de pistolets lance-fusées dont certains modèles sont plus courants que d'autres. Le personnel de l'aviation allemande, dont essentiellement les membres jouant un rôle clef dans l'observation pour l'artillerie, n'échappe pas à cette règle et c'est ainsi que de nombreux effectifs se verront munis de telles armes de signalisation.
En effet, même si celles-ci restent d'une taille assez imposante, elles peuvent rendre de nombreux services. Ainsi, nous pouvons prendre l'exemple précis du personnel embarqué à bord des zeppelins qui, en plus de transmettre des signaux lumineux, pourra en plus de cette fonction première faire usage de son pistolet lance-fusées pour détruire leur ballon et ce en cas de pose forcée et d'abandon de celui-ci. Une photo d'époque montre d'ailleurs des soldats français issus d'une section d'auto canons, posant fièrement avec des débris de l'appareil qu'ils viennent d'abattre, le L.Z. 77, dont le fameux pistolet de signalisation Hebel. Les comptes rendus français en rapport avec les zeppelins L.Z.85 et L.45 vont d'ailleurs dans ce sens et mentionnent que les membres d'équipage ont tenté d'incendier leur machine en tirant une fusée dessus! Il faut dire que c'est sans doute la solution la plus appropriée, l'engin mesurant entre 160 et 200m de long et disposant d'une toile pouvant s'enflammer presque quasi instantanément.



Artilleurs ayant abattu le zeppelin L.Z.77 se livrant à une chasse aux débris pour ramener
avec eux quelques souvenirs dont un pistolet lance-fusées de type Hebel.


Par ailleurs, il faut savoir qu'en plus d'avoir utilisé les modèles déjà existants, l'Armée de l'air fut dotée de modèles bien spécifiques arborant une taille réduite et disposant d'un poids plus faible. Ainsi le plus représentatif d'entre eux, et sans doute le plus performant, reste celui du système Eisfeld.




De conception totalement différente de ce qu'on a pu traiter jusqu'à présent, cette arme de 145mm de longueur et d'un peu plus de 600 grammes maximum est réalisée en bronze, voire en acier avec une finition bronzée noire. En outre, cette dernière dispose d'une poignée munie entre autres de plaquettes de crosse en noyer finement quadrillées qui montrent bien que nous avons à faire à une production des plus soignées !
Par ailleurs, sur le côté gauche du pistolet du système Eisfeld se retrouve une plaque de recouvrement de platine fixée par deux vis supportant un levier de sureté et sur laquelle sont visibles deux marquages: l'un reprenant la lettre E en majuscule faisant référence au système de l'arme, l'autre en rapport avec le numéro de cette dernière.
De plus, toujours sur le même côté de celle-ci, un bouton poussoir quadrillé permet l'ouverture latérale de la culasse dite "à tabatière". Cette particularité fait que le pistolet lance-fusée Eisfeld, dépourvu de canon, ne fait plus usage de cartouches ordinaires comme on les connait déjà mais d'une munition de signalisation spéciale !

Cette cartouche dénommée Signal-Leuchtkugel System Eisfeld est produite par la firme J.F. Eisfeld à Silberhutte qui fabrique essentiellement du matériel en rapport avec la pyrotechnie. Elle se décline en plusieurs modèles de plus ou moins grande contenance qui reprennent essentiellement les caractéristiques du modèle décrit ci-dessous.



Deux cartouches de signalisation Eisfeld avec leur pistolet.
Ensemble présenté au Musée Royal de l'Armée et de l'Histoire Militaire à Bruxelles en Belgique.


Ainsi, la cartouche ordinaire se compose d'un gros cylindre en carton de 90mm de long pour un diamètre de 52 renfermant la composition éclairante ( pour un artifice vert par exemple, couleur reprise en peinture sur le carton, nous retrouverons un mélange de 84% de chlorate de baryum et de 16% de gomme-laque ), surmonté d'une douille en laiton marquée grâce à laquelle s'effectuera la projection, mais aussi l'inflammation. A savoir que ce cylindre est renforcé à chaque extrémité par deux bourres de feutre et consolidé, du côté où vient s'emmancher la douille, d'un bloc de bois. En résumé, le bloc de matière éclairante n'occupe en réalité qu'un peu plus de la moitié de celui-ci et la flamme sera transmise, de la douille à la composition, par ce que l'on appelle des mèches à étoupille et de coton poudre qui l'entourent.
Cette cartouche spéciale comme on a pu le voir peut être munie, ou non, d'une étiquette reprenant quelques-uns des renseignements donnés, à savoir entre autres la dénomination du projectile ( Signal-Leuchtkugel System Eisfeld ), sa couleur mais également le fabricant et son lieu d'implantation.



Aviateurs allemands posant fièrement dans leur appareil très bien équipé.
On y retrouve une mitrailleuse avec lunette de visée ainsi qu'une multitude de cartouches de signalisation dont des modèles Eisfeld.


Pour finir, il est important de préciser que la production du pistolet système Eisfeld perdura bien après le premier conflit mondial, jusqu'au milieu des années 30 environ. Bizarrement, la firme d'origine ne s'occupera plus de la fabrication de cette arme, son contrat la liant à l'Armée s'arrêtant net avec la fin de la guerre. C'est ainsi que le célèbre fabricant J.G.A. prit le relais mais pour un autre type de clients tel le personnel des différents aéroclubs ainsi que les divers groupes paramilitaires de formation d'aviateurs.
Bien évidemment, ces productions diffèrent du modèle original, notamment au niveau du marquage comme vous devez vous en douter.




III - LES FUSILS TRANSFORMES EN LANCE-FUSEES.



Soldat assis devant un abri à munitions pour Minenwerfer
et portant un fusil Lebel dont l'utilité n'est plus la même que celle dans sa version originale.


De nombreuses Armées ont été équipées de fusils ayant subi de nombreuses modifications pour permettre le tir de projectiles de signalisation.
L'Armée Impériale fait parti de celles-ci et c'est ainsi que les allemands mirent au point un lance-fusées réalisé par la transformation d'une arme d'épaule de prise, le célèbre fusil français, le 8mm Lebel !




Ce dernier dispose d'un canon excessivement raccourci et modifié tandis que les marquages originaux sont poinçonnés pour laisser place à des initiales un peu plus germaniques ( A.A.G. ) suivies de chiffres. La totalité des exemplaires de cette arme disposant de ce marquage et la plupart de ces derniers ayant été découverts en Alsace, il y a de fortes chances que ces inscriptions correspondent à Armee Abteilung Gaede et au numéro de l'arme. Cette hypothèse semble se confirmer puisque l'atelier de fabrication de Mulhouse est à l'origine d'une multitude de matériels.

A savoir que ce fusil lance-fusées se portait à l'aide d'une courroie de brodbeutel, sangle du sac à pain allemand.


Groupe de Landsturm dans un baraquement.




IV - LES MUNITIONS EMPLOYEES


               A) Les cartouches de signalisation:



Poste d'observation établi très certainement à la fin de la guerre par le L.I.R. 78 du côté de Dixmude en Belgique.
On y retrouve une cloche pour donner l'alerte en cas d'attaque ainsi qu'un pistolet lance fusées Hebel et sa boite de cartouches.


Contrairement à ses adversaires, l'Armée Allemande n'a utilisé qu'un seul et unique calibre pour ses pistolets de signalisation, à savoir des projectiles de 26,65mm dits de calibre 4, même si on dénombre quelques exceptions comme par exemple avec le pistolet lance-fusées Eisfeld utilisé par l'aviation ou encore le modèle Behr produit en 1910 et utilisant une cartouche éclairante à parachute de 34mm.




On retrouve deux grands types de cartouches pour lance-fusées, à savoir les artifices blancs utilisés pour l'éclairage ( Leuchtpatrone / L-Munition ) et les modèles colorés dont le but est de transmettre, de jour comme de nuit, des informations codées diverses, on parle alors de fusées de signalisation ( Signalpatrone / S-Munition ).

Avec l'apparition du premier pistolet lance-fusées Hebel en 1893, ce sont deux cartouches qui furent mises au point. On retrouve ainsi un projectile éclairant blanc ainsi qu'une fusée à signal rouge arborant un culot entièrement cranté, idéal pour le repérage tactile de nuit. A savoir que la durée d’éclairement d'un simple projectile est compris entre 8 et 10 secondes. Avec un peu d’exercice, les tireurs arrivent à réaliser un éclairement continu de plusieurs minutes !
Par la suite, on vit apparaitre des cartouches de tous types à une ou plusieurs étoiles, à parachute, etc …, avec des signaux de couleurs nouvelles comme le jaune ou encore le vert ainsi que des étuis de diverses longueurs ( 58, 75, 81, 104, 135mm, etc … ).




Dans un premier temps, les cartouches pour lance-fusées étaient réalisées en laiton. Il faudra attendre 1915 pour que ces dernières soient produites dans un alliage léger tel le zinc, pour finir par disposer d'étuis semblables au modèle de chasse! En effet, ces derniers disposaient d'un culot métallique embouti en laiton ( plus tard en fer étamé ) surmonté d'un corps tubulaire en carton rendu étanche par un principe de laquage ou encore de vernissage incolore, voir dans des teintes noirâtres ou un peu plus brunes.
Le culot disposait quant à lui d'un amorçage en cuivre type chasse tandis que l'étui était fermé d'un opercule de carton verni reprenant la couleur ou un signe spécifique faisant référence à la charge de la fusée.

Il est important de rappeler que les cartouches allemandes disposent d'un large bourrelet contrairement aux projectiles français notamment. Ceci n'est pas innocent puisqu'un tel profil adapté aux lances- fusées permet d'utiliser des projectiles dont la douille présente un bourrelet de moindre taille. Ainsi, les cartouches françaises peuvent être utilisées par les pistolets allemands, ce qui n'est pas réalisable dans l'autre sens.




La composition signal de la cartouche est renfermée dans un tube de zinc qui est projeté par une charge de poudre noire mise à feu par une amorce de fulminate qui sera elle-même inflammée par une faible charge de même type.

Même si chaque firme de production détient sa propre recette de fabrication, une étoile est généralement composée comme suit:
- Un agent oxydant nitraté ou chloraté.
- Une substance combustible telle du souffre, lactose, charbon de bois, suie, shellac ( ce dernier composant permettant en outre l'agglomération de l'ensemble ).
- Une ou plusieurs substances d'apport destinées à provoquer l'effet pyrotechnique recherché. Ainsi la couleur rouge est obtenue par de l'oxalate de Strontium, le vert par le chlorate de Baruym, le jaune par l'oxalte de sodium ou encore le fluoroaluminate de sodium tandis que le blanc s'obtient grâce à la poudre d'alluminium.

Pour exemple, une munition éclairante de type Leuchtpatrone, c'est-à-dire blanche, est composée d'environ 61,5% de baryte, 20% de poudre d'aluminium et de 18,5% de souffre.


Pour finir, les cartouches à parachute sont par ailleurs très intéressantes à étudier. Dénommées Signal-Patrone mit Fallschirm, il en existe bien évidemment une multitude de modèles tout comme pour les versions ordinaires. En outre, ces dernières ont comme caractéristiques l'apposition d'une étiquette collée renseignant sur le nom de la dite cartouche, la couleur et le nombre d'étoiles ainsi que des instructions en rapport avec son utilisation.



Voici deux modèles de cartouches éclairantes à parachute.


Des productions plus caractéristiques sont également recensées comme par exemple avec le producteur Muller et sa fameuse Militärfallschirm Leuchttrakete montée sur un étui du fabricant Heinrich Utendoerffer ( firme bavaroise implantée à Nuremberg depuis sa création en 1855 et qui fut rachetée en 1889 par la fameuse Rheinisch-Westfälische Sprengstoff-Actien-Gesellschaft de Köln ).


Modèle bien spécifique d'une fusée à parachute.



               B) Les cartouches spéciales à gaz et de décontamination :

Certaines munitions pour pistolet lance-fusées furent conçues afin de jouer un rôle déterminant dans la lutte sans merci que se livrent les différents belligérants dans la guerre des gaz.
Ainsi, l'Allemagne mit au point pour ses armes de signalisation des cartouches bien spécifiques renfermant un gaz lacrymogène et dont l'utilité première était de familiariser les soldats avec cette nouvelle facette de la guerre. De ce fait, lors d'entrainements, de telles cartouches étaient tirées dans des pièces confinées afin d'observer la réactivité des hommes et l'efficacité de leur matériel face à une attaque aux gaz.
Bien évidemment, on peut supposer que l'usage de ce type de cartouche fut détourné et employé sur le front. On voit ainsi très bien ce genre de munition employée pour déloger des ennemis terrés au fond d'un abri souterrain par exemple.



Par ailleurs, outre ce côté préventif que peut jouer ce type d'artifice, on trouvera des cartouches de décontamination jouant un rôle plus curatif.
En effet, des munitions destinées à purifier des locaux contaminés par des attaques aux gaz lors de bombardements ou d'émissions de nappes gazeuses furent mises au point !

Ainsi, ces dernières étaient très similaires aux cartouches éclairantes et se composaient d'une douille du calibre conventionnel de 26,65mm en carton beige sertie d'un culot en fer étamé et arborant une longueur avoisinant les 81mm. Cet étui était marqué à l'encre de sorte que l'on puisse définir l'usage spécifique donné à cette cartouche spéciale "Enstänkerungs Patrone" ( cartouche désinfectante ). A l'intérieur de ce modèle, le tube de zinc renfermant l'étoile qui produira le signal lumineux est remplacé par une petite ampoule de verre contenant 9cm cube d'une solution qui se décline en différents produits selon l'utilisation qu'on en fait :
- L'hypochlorite de sodium : Ce fluide clair, de couleur légèrement jaunâtre, dispose d'une odeur caractéristique. Communément appelé de nos jours "eau de Javel", ce composé est obtenu de la réaction du chlore gazeux et de l'hydroxyde de sodium.
- La pyridine : appelé également azine, ce mélange organique se présente sous forme d'un liquide de couleur légèrement jaunâtre et dispose d'une odeur particulièrement désagréable.
- Le diméthylaniline ( à confirmer ) : ce composé chimique se présente sous forme d'un liquide huileux incolore lorsqu'il est pur voir de teinte jaunâtre dans le cas contraire.
Ce chargement est calé dans la cartouche grâce à du papier cartonné très fin et est disposé sur deux bourres de feutre qui feront office de socle propulseur lorsque l'amorce enflammera le gramme de poudre noire.

A savoir que ce type de cartouches très spécifiques pouvait également être contenu dans ce que l'on peut appeler des coffrets de décontamination renfermant toute la panoplie d'un chimiste.
Ainsi, pour mieux étayer nos dires, nous allons prendre exemple du boitier du système Reis.


Appareil de décontamination ( Entgasungsgerät ): boitier du système Reis (Kasten System Reis ).


Ce coffret en bois dispose d'un couvercle en deux parties montées sur charnières et se fermant par un loquet. Une fois ouvert, deux étiquettes en papier, s'apparentant à des notices d'utilisation ( un peu comme à l'instar des caisses à munitions ) se présentent à nous mais c'est surtout de nombreux compartiments que l'on peut observer, renfermant pour chacun d'eux, des éléments essentiels dans l'assainissement de zones contaminées, mais pas seulement :
- A = Bouteille renfermant une solution d'hypochlorite de sodium ( Schutzsalzlösung gegen Chlor )
Efficace contre les bactéries, les virus, les champignons, l'hypochlorite de sodium est un puissant désinfectant qui peut être utilisé efficacement dans la purification de l'eau, l'élimination d'odeurs, l'assainissement de locaux.
Dans ce cas précis, il sera utilisé contre le chlore. Etonnant allez-vous me dire puisque cette solution découle de ce composé chimique mais il ne faut pas oublier que les attaques aux gaz de l'époque étaient effectuées, entre autres, par du chlore gazeux; le chlore pur en forte densité à l'air libre étant très toxique et pouvant dès lors devenir mortel pour l'homme !
- B = Bouteille renfermant une solution de pyridine ( Pyridinlösung gegen Phosgen )
Tout comme son prédécesseur, il s'agit d'un décontaminant qui sera employé ici contre le phosgène ( aussi dénommé le dichlorure de méthanoyle, l'oxychlorure de carbone ou encore le dichlorure de carbonyle ) qui n'est autre qu'un gaz toxique ( suffocant ) employé durant la guerre et souvent mélangé au gaz jaune-vert qu'est le dichlore.
- C = Pistolet lance-fusée Hebel modèle 1894
- D = Seringue à pyridine ( Pyridinspritze )
- E = Entonnoir servant à remplir la seringue de pyridine ( Trichter zum Einfüllen in pyridinspritze )
- F = Cartouche I de décontamination contre le chlore renfermant donc une ampoule d'hypochlorite de sodium ( Entgasungspatrone I gegen Chlor )
- G = Cartouche II de décontamination contre le phosgène contenant ainsi une ampoule de pyridine ( Entgasungspatrone II gegen Phosgen )
- H = Pipette en verre pour prélever des échantillons de gaz ( Glaspipette zur probenahme von Gas )


               C) Le conditionnement :



Les cartouches pour pistolets lance-fusées sont conditionnées dans des boites en carton avec couvercles qui arborent, selon la longueur de l'étui, différentes tailles et dont les bords sont rattachés par un système d'agrafes métalliques de différents types, voir de longues tiges disposant d'un profil bien spécifique. Ces dernières renferment 10 cartouches et disposent d'une étiquette papier collée renseignant sur le fabricant, la date de production ( une cartouche disposant d'une certaine durée de vie, il y a péremption ! ) mais également le type de munitions contenues.
A savoir que ce sont essentiellement des firmes impériales qui participèrent à la création des projectiles pour lance-fusées mais pas seulement. En effet, de nombreuses usines privées furent mises à contribution, autant dire qu'il existe une multitude de fabricants, firmes souvent issues du domaine des feux d'artifice.

Les modèles spéciaux de munitions tels les cartouches de décontamination étaient, tout comme les modèles de signalisation, conditionnés par 10 dans des boites en carton blanc portant une étiquette renseignant sur le contenu ainsi que le fabricant ( exemple pour une munition chargée en pyridine : 10 Stück - Entstänkerungs Patronen E II - A. Weinrich - Berlin - Wilmersdorf Fabrick Chemischen Spezial - Antikcl ).

Par ailleurs, il est intéressant de noter que fut produite, comme durant la seconde guerre mondiale, une pochette permettant au soldat d'emporter avec lui 10 cartouches pour pistolet lance-fusées.
Les deux seuls modèles que j'ai pu observer sont réalisés par l'atelier de production incontournable qui n'est autre que l'Artillerie-Werkstatt de Spandau ( A.W.S ).



Confectionné en forte toile brunâtre proche du rouge pour l'exemplaire daté de 1915 et dans une teinte gris verte pour celui de 1916, ces étuis sont renforcés à chaque extrémité de cuir. Cette matière est en outre utilisée pour les deux attaches cousues au dos permettant le port au ceinturon, ainsi que pour les deux languettes de fermetures (dont celle de gauche est estampillée du marquage du fabricant et du millésime de production ) se glissant dans un système à boucle.
A l'intérieur, des alvéoles en forte toile permettent le maintien des cartouches tandis qu'un rabat renforce un peu plus le principe d'étanchéité, favorisant la conservation des munitions au sec une fois l'étui fermé.



Portrait d'un soldat allemand équipé d'une sacoche pour cartouches de signalisation.





En conclusion, nous pouvons dire que le pistolet lance-fusées est une incroyable invention qui équipa toute l'Armée allemande et qui joua un rôle clef dans le conflit. En effet, les hommes issus de l'Armée de terre mais aussi bien les équipages de la Marine Impériale et de l'Aviation en furent dotés, c'est dire si le nombre de modèles existants et de munitions est important !









Sources:
- Les pistolets lance-fusées des troupes allemandes en 14-18 par Michel Bottreau - Gazette des Armes
- Les artifices et les pistolets signaleurs allemands de 26,7mm par Jean Huon et Philippe Regenstreif
- Tome 1 de l'ouvrage Deutsche Leucht- und Signalpistolen de Wolfgang Kern
- Synthèse sur l'utilisation du pistolet de signalisation Hebel dans l'Armée de l'Air Française par Pierre Dragibus d'Hautefage
- Synthèse sur l'utilisation faite des pistolets lance fusées par le personnel des Zeppelins par Philippe Valentin

Photographies:
- Archive et collection personnelle
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- Thierry Jousson
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