Le I.R.92 fait parti de la 19ème Division de réserve et forme avec la 2ème D.R. le Xème corps d'Armée de réserve. Ce dernier fait quant à lui parti de la IIème Armée ( von Bülow ).
Ce régiment particulier arbore un emblème à tête de mort dont l'origine remonte à l'époque du 1er Empire. En effet, c'est là que le 3ème bataillon de ce régiment porte le nom de "Régiment de la mort en marche", appellation très certainement donnée suite à l'allure particulière des chefs de section habillés de noir avec une grande cape. Ces images allégoriques perdurèrent après cette période même si le véritable insigne de Brünswick était un cheval, emblème d'ailleurs repris par les autres bataillons à l'époque.
Le témoignage qui va suivre a été recueilli auprès de Louis Schweitzer dans sa petite chambre de la maison de retraite qu'il avait intégré quelques semaines auparavant alors que ce dernier avait 97 ans.
Brunswick était une cité très pacifique, très socialiste, où avaient souvent lieu des rassemblements politiques les dimanches après-midi, ou certains soirs, ce qui nous valait d'être consignés ces jours-là. Nos calots comme ceux des autres régiments, comportaient deux cocardes, mais celle du haut était remplacée par une tête de mort que le régiment avait gagnée pour s'être distingué autrefois contre les troupes espagnoles. Certains lieux étaient interdits aux militaires. Ainsi, nous étions sortis un jour en ville et décidâmes d'entrer dans un bistrot devant lequel nous passions. Nous fûmes accueillis par le rire de plusieurs clients; nous nous installâmes. La serveuse qui tardait fut hélée par un homme qui était au comptoir qui lui parla à demi voix. Elle vint enfin nous rejoindre pour nous annoncer qu'elle ne pouvait nous servir, le café étant interdit aux militaires et qu'elle risquait une amende et nous l'emprisonnement si quelqu'un venait à nous dénoncer. Si elle refusait de nous servir, elle nous proposa cependant de nous rendre le service de surveiller la rue lors de notre sortie pour éviter tous problèmes avec la police. Nous repartîmes donc, en oubliant désormais plus de lire les interdictions apposées sur les différents établissements de la ville. L'instruction se poursuivait et la vie de caserne déroulait le cours des journées; la discipline était très sévère. Les Alsaciens-Lorrains étaient répartis dans le régiment à raison d'une douzaine par compagnie.
Les maisons abandonnées et ouvertes étaient tentantes et il y avait beaucoup de pillage, pour manger et pour boire, plus particulièrement. Je racontai cela à mon père ; il m'écrivit "Si j'apprends que tu as volé quoi que ce soit dans les maisons de ces pauvres gens, je te coupe les mains dès ta première permission". Malgré cette interdiction, je n'aurais d'ailleurs rien touché. Une nuit, vers minuit, une fusillade débuta subitement dans un village à côté de notre campement, sans raison apparente et nous partîmes à l'assaut du village désert. Je faisais partie d'un groupe commandé par le lieutenant Birckeim. Celui-ci fit irruption dans une maison où il trouva le propriétaire, un civil, derrière la porte et l'abattit d'un coup de revolver. Vous avez déjà vu ça ! Abattre ainsi un civil !
A quatre heures de l'après-midi, nous retraitions du bois et repartions dans l'autre sens en remontant vers le nord. Nous nous arrêtâmes vers minuit pour prendre quelques heures de repos; à quatre heures du matin, après avoir quelque peu dormi ( il nous avait été interdit de monter les tentes ), nous repartions pour une seconde journée de marche en retraite jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Il nous était défendu d'entrer dans les maisons durant les courtes haltes ou de toucher au raisin dans les vignobles traversés. Pendant ces journées, un de nos officiers, le lieutenant von Sal nous dit "réjouissez-vous, l'ennemi est battu, nous sommes obligés de nous replier pour des raisons stratégiques".
Nous nous sommes ensuite enterrés dans des tranchées près de Reims à côté du village de Guignicourt. Les officiers nous assuraient que nous serions à la maison pour Noël. Nous étions en premières lignes face aux Français, mais séparés d'eux par le canal des Ardennes. Les Allemands prétendaient que nous n'avions pas souffert de ces journées d'attaques et de retraites, mais dès avant Noël, nous recevions nos premiers renforts. Je me souviens encore, durant la Marne, d'une batterie de 77; il y avait deux pièces, la première, tous les artilleurs étaient morts, près de la seconde pièce, le même spectacle, victimes d'un canon de 75 qu'un officier audacieux commandait. La pièce tirait un ou deux coups puis se défilait pour s'installer quelques dizaines de mètres de là, à l'abri de la riposte. Ainsi, les Français étaient venus à bout des Boches !
Un jour, j'ai failli m'échapper. Lors d'une attaque d'un poste avancé par les Français, nous fûmes envoyés en renfort. Comme le poste était rapidement accessible par le canal (il y avait cinq à six cents mètres de détours par les tranchées), nous empruntâmes des barques qui se trouvaient là depuis le début de la guerre. J'étais dans l'embarcation avec plusieurs Allemands quand celle-ci coula ; mais je ne pus pas m'échapper car un des Allemands me tendit son fusil pour me hisser hors de l'eau et m'aider à rejoindre la berge. J'étais trempé jusqu'à la moelle et nous ne pouvions nous sécher dans la tranchée. Ce n'est que le soir que je pus retourner vers l'arrière auprès d'un feu pour me sécher. Un des Allemands qui était là me dit "Pendant qu'il y en a qui se trempent jusqu'aux os, il y en a là-haut qui dorment bien au chaud dans un bon lit" (le Kaiser). Tous les Allemands n'étaient pas militaristes, comme je l'avais vu à Brunswick. Il y avait d'ailleurs un socialiste dans ma chambrée et il disparut dès les premières batailles ; sans doute avait-il déserté ?
Fréquemment, nous parlions par-dessus les tranchées. Les Français nous invitaient à déposer les armes et à les rejoindre. Lorsqu'on creusait un trou dans la tranchée, on trouvait souvent des cadavres. A un endroit de la tranchée, on voyait le derrière d'un pantalon rouge. Ailleurs, c'était un bras allemand qui dépassait. Certains y accrochaient leur musette, chose que je n'ai jamais faite. De cette époque, je me souviens également d'avoir été le souffre-douleur de l'adjudant. Quand il y avait des corvées ( enterrer les morts, porter les cartouches, transporter l'eau dans des récipients en toile spéciale ), j'entendais toujours mon nom. Il y avait devant la tranchée les corps de plusieurs Sénégalais victimes d'une attaque des jours précédents. L'odeur était insupportable; nous avions obtenu une trêve des Français pour pouvoir les enterrer mais les officiers allemands n'ont jamais voulu nous laisser faire. Les cadavres et le manque de propreté furent la cause de beaucoup de maladies. Un autre jour, j'étais dans la tranchée en poste. Sans prévenir, sans un bruit et sans crier mon voisin tomba, tué d'une balle dans le front. Cela me rappela les batailles d'août et septembre; quand nous montions à l'assaut, certains tombaient sans un cri, d'autres hurlaient et se plaignaient…
Il n'y avait plus un bruit. Nous attendions l'arrivée imminente des Français quand tout à coup, on entendit les Français qui de l'extérieur lançaient des blocs de pierre dans l'abri pour en boucher l'accès et condamner ceux qui s'y trouveraient. Ma mère avait autrefois payé des leçons de Français à l'instituteur qui nous les donnait le soir après l'école. J'en avais oublié une partie car nous parlions plus couramment l'Alsacien et plus obligatoirement l'Allemand, mais le peu que je savais me permit d 'appeler les Français. "Ne tirez pas Messieurs, nous sommes trois Alsaciens-Lorrains.". Les Français nous firent monter à l'air libre, j'étais enfin prisonnier d'eux. "Bist du froh zu gefangene sein ?" ( Es-tu content d'être fait prisonnier ? ) me demanda l'interprète alsacien à l'interrogatoire. Nous fûmes ensuite conduits à l'arrière et délestés durant ce parcours dans les tranchées françaises de certaines pièces d'équipement, en particulier la tête de mort qui figurait sur le calot.
Tous les Français venaient nous voir, le bruit ayant couru que des Alsaciens avaient été faits prisonniers et ils nous saluaient amicalement. J'ai rencontré un soldat qui me dit être de Reichshoffen. Nous sommes alors tombés dans les bras l'un de l'autre. Ce régiment français était sans doute de l'est car ils s'y trouvaient beaucoup d'Alsaciens-Lorrains qui avaient passé la frontière pour rejoindre la France. Plus loin, en arrière, on nous donna à manger tandis que les boches faisaient ceinture. De là, je fus transféré vers Mazamet, puis Lourdes, dans un camp spécial de prisonniers Alsaciens-Lorrains. Dans le camp, nous ne faisions rien de nos longues journées. On créa une formation de musique dirigée par un Messin pour nous occuper. Nous donnions des concerts tous les dimanches. Nous étions toujours plus nombreux, si bien qu'il fallut ouvrir un autre camp spécial à Monnestionne. C'est dans cette période que l'on demanda des volontaires à l'engagement dans l'armée française. Nous fûmes plus de cent à nous présenter. Nous partîmes vers l'Algérie, le sud de la Tunisie (à Baccartade) où notre présence était nécessaire dans ces régions où des émissaires Turcs et Allemands tentaient de soulever les populations contre les Français. Notre compagnie de zouaves était en poste dans le désert. Je me souviens d'un jour au rapport où un sous-officier français, (il n'était que sergent un grade supérieur lui aurait été accordé s'il était parti en campagne en France, mais trop peureux, il avait préféré rester en Afrique du Nord), s'excusa de ne pas réussir à prononcer mon nom avec l'accent allemand. On dut me retenir pour ne pas le battre. Par la suite quand il nous voyait jouer aux cartes le soir, il voulait participer au jeu. Mais j'ai toujours refusé de l'accepter et ne lui jamais pardonné sa remarque. Je fus libéré à Taza en 1919.
Sources et photographies:
- Propos recueillis le 24 Avril 1990 par Patrice Lamy. Ce témoignage a été illustré par une série de photographie de ma collection personnelle réalisée lors de manoeuvres durant l'année 1913.
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