Témoignage de Jospeh



Soldats du 163ème R.I. dans une tranchée à Flirey.
Le chien qu'ils ont adopté a été appelé "Mort-Mare" en référence au bois où ils livèrent de terribles combats.



Voici la retranscription d'une lettre d'un tout jeune soldat, Jospeh, écrite le Jeudi 8 Avril 1915 alors qu'il est au repos suite à l'attaque qu'il a dû mener à Flirey, en Meurthe-et-Moselle, quelques jours plus tôt.
Ce dernier âgé de seulement 21 ans était dans le civil instituteur des écoles dans le Var et fut incorporé durant la guerre au sein de la 8ème Compagnie du 163ème Régiment d'Infanterie.


"Mes chers Parents.

Excusez-moi si depuis 3 jours je ne vous ai plus donné de mes nouvelles. Nous étions aux tranchées, nous avons fait une attaque terrible à la baïonnette et ensuite comme repos il nous a fallu soutenir les attaques des autres. Nous nous sommes battus comme des enragés; il n'a pas été question d'écrire, de boire, ni de manger, à peine quelques biscuits ou quelques morceaux de viande froide entre les coups de fusil. Pour vous rassurer je vais vous dire que par miracle je n'ai rien eu, à peine la manche gauche de mon imperméable traversée d'une balle qui ne m'a pas touché la peau. Voici le récit de l'affaire, récit que vous lirez aux amis et parents qui vous demanderont de mes nouvelles, car je n'ai le temps d'écrire qu'à vous.

Le Lundi 5 avril, au soir est arrivé l'ordre de boucler le sac et de monter directement aux tranchées. On est partis sans avoir le temps d'envoyer une seule carte, on a marché pendant toute la nuit ou plutôt jusqu'à 3 heures du matin. Dans les tranchées on nous a dit : "à 9 heures vous partirez à la baïonnette pour aller occuper la tranchée allemande qui n'était qu'à 50 mètres de la nôtre". A partir de ce moment l'artillerie s'est mise à canarder les tranchées boches avec toutes les pièces disponibles, même le nouveau mortier de 220 qui est peut-être la pièce actuelle la plus terrible. Jamais de la vie je n'ai entendu pareil vacarme. Tous nos obus tombaient au but voulu, faisant un mal terrible.



Explosion d'un 220 français près de Flirey.


Je voyais les obus soulever les abris allemands et envoyer leurs habitants à des hauteurs variant de 80 à 100 mètres. Quand il est venu 9 heures l'ordre est arrivé d'attendre jusqu'à midi pour attaquer et pendant 3 heures l'artillerie a continué sa besogne d'enfer. Les Boches ripostaient coup pour coup mais à l'inverse du nôtre leur tir était absolument nul. On aurait dit que tout s'écroulait, que tout sautait, enfin, je ne sais pas comment vous faire comprendre ce qu'est un feu violent d'artillerie. A midi moins le quart, nous avons tous dressé une petite échelle contre le parapet de notre tranchée pour sortir vite et tous ensemble. A midi notre artillerie a cessé le feu d'un seul coup et au signal de notre capitaine nous nous sommes élancés dehors tout le bataillon à la fois. Comme j'étais nouveau dans ce métier j'étais placé entre mon caporal et mon sergent par ma propre initiative. En une demi-minute de pas de course, nous sommes arrivés au parapet arrière de la tranchée boche malgré les coups de fusil qui nous partaient dessus de tous les côtés. A ce moment les boches se sont mis à se sauver vers leur deuxième ligne. Nous étions tous couchés à plat ventre. Le premier qui est sorti devant moi a eu un triste sort; à une quarantaine de mètres je l'ai visé froidement entre les deux épaules et j'ai serré la détente. Vous devinez le reste. Il est tombé bras en croix, face à terre, raide mort. Que la morale me pardonne !

Immédiatement après 3 boches cachés dans un trou sortent la tête et essayent de nous voir. L'un d'eux nous aperçoit couchés et abaisse son fusil pour nous viser. Mon caporal appuie son arme sur une pierre; pour plus de sûreté j'appuie mon lebel sur l'épaule de mon sergent et nous visons avec mon caporal le casque à pointe qui laissait voir un peu de la figure. Nos deux coups partent en même temps le casque arraché de la tête de l'homme saute en tournoyant à un mètre de hauteur et le prussien s'écroule. Qui l'a touché? Le caporal ou moi, peut-être tous les deux. Nous sautons ensuite dans la tranchée boche où quelques types se rendent en nous offrant leurs cigares et en tremblant de tous leurs membres. Mais le moment n'est pas fait pour fumer. Quelques- uns gardent les prisonniers et nous commençons à organiser la tranchée contre les anciens occupants. Tout d'un coup les Boches nous cernent de toutes parts et l'on nous crie de nous replier. Entendant crier "Hé! Hé!" dans un boyau, je regarde croyant voir mon sergent dont j'étais séparé involontairement dans le feu de la lutte. Au lieu de mon sergent, j'aperçois devant moi un gradé boche reconnaissable à une petite patte sur l'épaule; c'était un adjudant sans doute, peut être un officier qui, fusil au poing, ramenait ses hommes vers nous. Il tournait la tête vers ses hommes et ne me voyait pas malgré qu'il ne fût qu'à 3 mètres de moi. Je me suis dit: "Mon petit, tu es tranquille, je ne vais pas te rater." Je dresse doucement mon fusil et je le vise froidement, à bout portant, à la nuque. A ce moment, du coin de l'œil il a dû voir le mouvement, car il s'est tourné brusquement vers moi avec des yeux féroces et en essayant d'abaisser son fusil vers moi; mais c'est tout ce qu'il a pu faire. Je lui ai fait partir mon coup de fusil à un mètre ou deux en pleine figure. Il a poussé un immense soupir de dégoût et d'étonnement un "Oh!" formidable et il s'est écroulé la tête broyée comme une pastèque la cervelle dehors. Lui aussi raide mort. Les autres n'ont pas osé voir venir ce qui se passait et j'ai pu me sauver dans notre tranchée poursuivi par les coups de fusil des Boches qui arrivaient. Ce n'est que mon imperméable qui a été touché. Je n'ai commis aucune imprudence, j'ai été courageux, je suis content de moi car j'ai échappé de cette affaire. J'ai maintenant la consolation de savoir que si par malheur je n'échappe pas à une autre j'aurai descendu deux, et peut être trois de ces brutes de la Garde Impériale car ce sont ces êtres terribles que nous avons devant nous. Cette tranchée a été prise et reprise 4 ou 5 fois. Actuellement elle est à nous.



Soldats de la Garde dans une tranchée à Flirey.


Vendredi 9 avril, Je continue la lettre. J'ai reçu deux des vôtres avec le billet bleu et les photos ainsi qu'une autre avec la toile émeri. Merci de tout mon cœur pour tout cela. Je me dépêche car l'on va ramasser les lettres. A l'instant je reçois une carte de Laurent et Marius Gerbaud vient me voir. Les 3 frères vont bien. Rassurez leurs parents. Je viens d'apprendre que je vais être nommé caporal. Pas trop tôt! Plus de corvée ni de faction aux créneaux.
Peyron a été blessé fortement mais je pense qu'il guérira. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour cela. Les pertes de la compagnie sont de 82 hommes ( morts, blessés, disparus).
Je vais envoyer en même temps que la lettre une carte qui arrivera peut-être plus vite. Je n'ai plus reçu de colis. Restez quelque temps d'en envoyer sinon j'en aurai trop à la fois, car tous finissent par arriver.
Merci pour les cartes envoyées par Papa.
Je termine la lettre en vous embrassant de tout mon coeur. Bonne santé,
Le bonjour aux parents, amis et connaissances.
Inutile d'envoyer de l'argent j'en ai."










Sources et photographies:

- Témoignage présenté par le membre "Mahele" sur le Forum Pages 14-18 ( http://pages14-18.mesdiscussions.net/ ) et illustré par des clichés issus de ma collection personnelle mais également de celle de Zoof ainsi que de celle de Michel Dhennin.



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