Le lanceur Guidetti



Homme du 261ème R.I. posant fièrement dans sa tranchée,
dans le secteur de Flirey au début de l'année 1916, avec un mortier Guidetti.



Il ne faudra attendre que quelques mois pour que les soldats comprennent que la guerre à laquelle ils participent les dépasse et que cette dernière risque de durer, même si la plupart d'entre eux ne veulent pas y croire.
Petit à petit, cette guerre que l'on imagine grandiose de par les immenses vagues de combattants s'élançant à terrain découvert contre l'ennemi, baïonnette au canon, va très vite se transformer en quelque chose de bien plus exécrable avec la guerre de position. Cette nouvelle facette du conflit à laquelle personne n'avait songé va forcer les hautes autorités à redoubler d'ingéniosité afin de répondre aux manques que rencontrent sur le terrain les soldats au fond de leurs tranchées en matière d'artillerie.
Ainsi, le vieux fusil gras dépassé même si quelques soldats, notamment de la Territoriale, en sont dotés, va trouver une nouvelle jeunesse en étant modifié pour pouvoir tirer un projectile explosif. C'est alors que née en 1915 le lanceur Guidetti !


I - ENTRE FUSIL D'INFANTERIE ET ARTILLERIE DE TRANCHEE




L'emploi que l'on pourrait donner à l'arme individuelle d'épaule qu'est le fusil d'infanterie 11mm Gras va être détourné et servir d'élément clef pour la mise à feu d'une toute nouvelle pièce d'artillerie de tranchée.
En effet, ce fusil dont le projet a été présenté par le Capitaine Gras et qui a fait son apparition en version originale dès 1874 va être repris, transformé et faire partie intégrante de ce qui sera une invention improbable, si ce n'est hors du commun !

La crosse dont est affublée cette arme va être raccourcie de plusieurs dizaines de centimètres, peu après le décrochement de sa pente, pour être façonnée de telle sorte que la prise en main soit parfaite. Le boitier culasse sera quant à lui conservé et la modification la plus importante se fera au niveau du canon même, où sa longueur en sera réduite de moitié quasiment, coupé à 10cm de la chambre environ, afin d'y emboiter ce qui semble s'apparenter à un tromblon d'un diamètre de 77mm ( une version existe également en 65mm ). Ce dernier arbora un profil assez particulier puisqu'extérieurement il sera pourvu d'un imposant ressort récupérateur qui, grâce à un manchon cylindrique coulissant, pourra jouer à merveille son rôle, à savoir absorber au maximum le recul engendré par le départ du coup, et rendre la cadence de tir de cette arme très acceptable.

Il est bon de rappeler que le fusil Gras modèle 1874, même si il a été produit à partir de cette date en exemplaire neuf, découle d'un projet basé à l'origine sur la récupération et la transformation d'anciennes armes de type Chassepot ( 1866-74 ). De ce fait, il n'est pas impossible que ces exemplaires puissent avoir été employés, au même titre que le fusil d'infanterie Gras, dans l'élaboration de ce mortier de tranchée même si les plus de deux millions d'exemplaires produits du modèle fini paraissent amplement suffisants pour ne pas envisager l'utilisation de ce genre d'armes qui se veulent déjà modifiées !



Fusil spécial Guidetti ramené à l'arrière par des soldats de l'Armée Allemande.



Pour pouvoir tirer profit de cet ingénieux système dans son environnement que sont les tranchées, celui-ci devra être monté sur un affût trépied disposant de pieds d'ancrage dont l'un d'eux est mobile. Ce dispositif est composé par ailleurs d'une sellette sur laquelle le soldat devra être positionné au moment de la pression sur la détente, afin de diminuer au maximum les effets de secousse dus au tir.
Un système d'accroche en demie lune très bien pensé permet au tromblon de se mouvoir quasi librement une fois monté sur le trépied. En outre, un secteur de pointage arborant une forme similaire, et rattaché à la gauche du trépied lui-même, permettra au soldat de bloquer le fusil Guidetti selon un angle de tir qui aura été au préalable choisi et qui se verra compris entre 20 et 70°. Pour plus de précision, une alliade de tir, ici un niveau à bulle fixé sur la droite du tromblon par une vis papillon, juste au-dessus du système d'accroche, permettra d'affiner au maximum le pointage en portée de l'arme sur un objectif désigné.

Le fusil Guidetti, d'un poids total de 35kg, devait être comme beaucoup de mortiers de tranchées servi par plusieurs effectifs, l'un jouant le rôle de tireur, l'autre s'occupant du pointage de l'arme dans une direction et inclinaison voulues.



Présentation aux gradés allemands de divers mortiers de tranchées pris à l'ennemi.




II - LES DIVERS PROJECTILES EMPLOYES



Petit atelier privé opérant dans la réalisation de grenades Guidetti.



Comme la plupart des pièces d'artillerie de tranchée, le fusil spécial Guidetti tire différents projectiles que l'on peut classer en 3 grands types de munitions. Cette utilisation ne pourra cependant se faire sans l'emploi d'une cartouche propulsive qui se décline également en 3 modèles et qui permettra aux grenades, selon l'angle de tir choisi ( plongeant ou vertical ), d'atteindre des distances pouvant aller de 40 à 195m.
Ces cartouches de lancement sont des munitions Gras de type feuillette, c'est-à-dire sans balle dont l'extrémité des parois est rabattue. Elles sont chargées différemment, à de plus ou moins fortes densités comme on a pu le voir, afin d'obtenir une portée pouvant être ordinaire, moyenne ou grande.

A savoir que ces grenades furent produites comme la plupart des munitions par diverses firmes rattachées directement à l'Armée voir dans certains cas, dans de petits ateliers privés. C'est le cas ici pour un habitant lorrain, Alexandre Rauch, qui après avoir été appelé en 1914 sous les drapeaux en tant qu'infirmier, fut réformé et rendu à ses foyers en raison de la limite d'âge; il décida alors de contracter auprès de l'Armée française et ce à titre gracieux, s'engageant à produire dans son petit atelier mécanique situé à Nancy, des grenades Guidetti.



Alexandre Rauch en plein travail dans son atelier sur des grenades du 2ème type.



               A) La grenade de 77mm du 1er type :


Ce projectile est le tout premier modèle de grenade adopté pour le tir avec le lanceur Guidetti. Constitué d'un corps sphérique réalisé en fonte, celui-ci dispose en son milieu d'un méplat dont les parties inférieures et extérieures sont marquées par une rainure; ces entailles permettant ainsi de limiter au maximum l'encrassement du tube lors du tir et d'en améliorer la propulsion. Comme tout projectile de l'Armée française, il y a de fortes chances pour que ce dernier soit peint dans la teinte "gris-bleu artillerie".

Pour plus de stabilité dans les airs, un empennage de forme pyramidale sera soudé au corps lui-même. Réalisé en tôle, ce dernier dispose de trois ouvertures qui améliorent encore un peu plus l'aérodynamisme de ce projectile.

Par ailleurs, cette grenade sera coiffée d'une fusée détonateur percutante réalisée en bois/métal qui sera tout simplement emboitée dans l'œil lisse du corps. Le fonctionnement de cette dernière est très simple puisqu'il repose sur le refoulement, un peu à l'instar des nombreuses fusées d'obus.
Au vu de la matière de cette fusée de tête, un capot de protection, semblable à celui des allumeurs de la grenade boule à main modèle 1914, sera positionné sur celle-ci jusqu'au moment du tir. En outre, un joint de cire froide sera mis en place sur le pourtour de cette dernière afin de boucher d'éventuels vides et de renforcer ainsi l'étanchéité de la grenade. Enfin, il est nécessaire d'indiquer que pour éviter tout incident durant le transport, cette fusée dispose d'une goupille de sécurité particulière.


               B) La grenade de 77mm du 2nd type :


Ce projectile qui semble avoir été produit en plus grand nombre, même si différent dans sa forme, est de conception très similaire au modèle précédemment décrit. En effet, constituée d'un corps cylindrique réalisé en fonte, cette grenade quadrillée intérieurement dispose également, que ce soit à sa base ou en son sommet, de gorges permettant de réduire l'encrassement de l'arme. D'un poids de 900gr environ, sa charge explosive est de 150gr de cheddite.
A savoir que certains exemplaires découverts ont laissé apparaître des déchets de balles de 11mm Gras noyés dans l'explosif.

Ce corps dont le dessus est légèrement bombé est peint en "gris-bleu artillerie" tandis que le pourtour de son culot dispose d'une encoche sur laquelle viendra se sertir un empennage cylindrique en tôle à 4 ouvertures.
Au vu de son épaisseur et de la façon dont celui-ci a été travaillé ( découpes, pliage ), il n'est pas insensé d'imaginer que cet empennage devait facilement se déformer lors de manipulations quelconques, provoquant ainsi des aléas néfastes à la trajectoire du projectile dans les airs.



Ensemble de projectiles français tombés sur les lignes allemandes qui n'ont pas fonctionné.
On notera la présence d'un projectile Guidetti de 77mm du second type.


Dans un premier temps, ce type de projectile sera produit à œil lisse et accueillera ainsi la fusée en bois que nous avons traitée ci-dessus, mais les futures productions seront usinées avec pas de vis afin d'y monter une toute nouvelle fusée.
Cette dernière, réalisée cette-fois-ci en plomb, est de même type que la précédente c'est-à-dire percutante et dispose à sa base d'un détonateur.
A savoir que sur les exemplaires découverts, deux fusées de ce type se différencient par leur dessin du bouchon de tête, il s'agit sans doute d'une simple variante de fabrication.
Pour éviter tout incident pendant le transport, une goupille de sécurité est positionnée sur la fusée empêchant tout contact entre la masselotte et le percuteur.



Essai d'un lanceur Guidetti devant des autorités par des hommes d'un bataillon de chasseurs.



               C) La grenade de 65mm :


Le lanceur Guidetti va dans le courant de l'année 1916 être modifié et recevoir un tromblon, non plus de 77mm, mais de 65mm. Cette reconversion préfigure l'utilisation d'un tout nouveau projectile réalisé à partir d'une grenade mythique, la citron Foug modèle 1916.

Cette grenade à main produite en masse, au vu de son faible coût de revenu, par l'usine de la commune du même nom située aux environs de Toul, va donc voir son emploi initial détourné. En effet, pour pouvoir être employé avec le fusil Guidetti, cette munition sera montée de force sur un sabot en bois muni de 8 encoches et renforcé par un disque de métal.
La grenade Foug elle-même est peinte en gris-bleu, voir laissée vierge à sa sortie d'usine, et est réalisée en fonte. Son corps de forme ovoïde à fragmentation extérieure renferme 90gr de cheddite pour un poids total de 550gr.

Le bouchon allumeur dont cette grenade est pourvue est réalisé en bois, avec quelques-unes de ses parties en métal, et se voit fixer au corps par trois chevilles de bois jusqu'au milieu de l'année 1917 pour finir par être tout simplement collé.
Son capot de protection positionné durant le transport est initialement de forme pointue et sa réalisation au cours des années est modifiée pour le rendre arrondi, puis plat dès 1918.



Divers projectiles français ramassés dans les décombres par des soldats allemands.
On remarquera la présence à l'extrême droite d'une grenade de 65mm.


L'utilisation de cette grenade comme projectile pour fusil Guidetti n'est pas innocente. Ainsi, plusieurs explications peuvent être données mais la plus probable réside dans le fait que cette grenade citron est à l'origine de nombreux accidents sur le terrain, notamment lors de son transport. En effet, le percuteur dont elle est équipée pèse un certain poids alors que le ressort dont elle est pourvue est lui bien trop frêle. Les ingénieurs de l'Armée vont donc tirer profit de cette faiblesse et rendre cette grenade, une fois modifiée pour le lanceur Guidetti, fusante puisque le simple départ de coup suffira à enflammer l'amorce de la grenade sans que ne soit nécessaire de retirer le capuchon de protection de celle-ci.



Emploi par des soldats d'un lanceur Guidetti avec tromblon de 65mm pour tir de projectiles spécifiques.




III - LE CONDITIONNEMENT



Artilleurs dans leur tranchée se préparant au tir de grenades Guidetti.
Photographie extraite de l'ouvrage de Pierre Miquel intitulé "14-18 Mille images inédites".



Comme pour tous types de munitions, qu'il s'agisse d'obus, de grenades et autres projectiles divers, la documentation mais encore les photos d'époque ou tout simplement les pièces de collection en rapport avec le conditionnement de ces derniers se font rares! Ainsi, le fusil spécial Guidetti n'échappe pas à cette règle et les seules suppositions que l'on peut tirer le sont par les quelques photographies d'époque qui existent de ce lanceur.

Les bombes de 77mm du 1er type ainsi que les grenades de 65 ne semblent jamais être représentées sur les clichés que j'ai pu rencontrer, seul le projectile le plus commun du second type l'est.
Ces somptueux témoignages en noir et blanc laissent à chaque fois apercevoir une caisse en bois dont les poignées sont réalisées avec de banales cordes rattachées à celle-ci par des tasseaux de bois. Par ailleurs, il y a de fortes chances que le couvercle des caisses pour munitions Guidetti soit estampillé de marquages à la peinture noire renseignant sur le contenu.

Le plus difficile à définir reste cependant le nombre de projectiles contenu dans ces caisses puisque d'un cliché à l'autre, on remarque de nettes différences dans la dimension de ces dernières.
Ainsi, il est intéressant d'analyser les éléments en notre possession:
- Les caisses présentes dans l'atelier d'Alexandre Rauch semblent pouvoir contenir 15 grenades mais s'agit-il réellement de caisses qui seront livrées aux Armées? Le doute s'installe puisqu'il est peu probable qu'un "simple" bricoleur s'occupe de la fabrication de fusées bien plus technique et encore moins de celle de l'explosif. La hauteur des caisses présentes va d'ailleurs dans ce sens.
- L'analyse de la photo d'époque ci-dessus nous permet d'établir par ailleurs que le conditionnement pour ce type de caisse est de 4 rangées de 6 grenades ce qui nous donne donc un total de 24 pièces. On peut en outre voir que la caisse dispose de marquages indiquant qu'il faut renvoyer celle-ci une fois vide, sans doute dans une usine de Toul à en croire l'indication donnée !
- Le cliché ci-dessous nous montre quant à lui une caisse contenant des projectiles dont il est difficile de définir le modèle mais dont les rangées de munitions sont composées d'au moins 7 projectiles !
Autant dire qu'il est difficile de s'y retrouver tant les variantes de conditionnement semblent nombreuses. Il ne faut à mon avis pas chercher loin dans ses différences qui sont vraisemblablement dues à la multitude de firmes de fabrication existantes. Une documentation d'époque complique encore la chose puisqu'il y est mentionné que le conditionnement est de 25 bombes chargées et amorcées et que des caisses spécifiques pour fusées et détonateurs existent…c'est à s'y perdre !



Soldat français posant aux côtés d'un lanceur Guidetti et
d'une caisse qui semble de plus grande contenance que la normale.





En conclusion, cette seconde vie que connut le fusil 11mm Gras et qui peut apparaître comme une hérésie aux yeux de certains à l'époque n'en ai point une! Pour preuve, la bombarde Garnier réutilisera elle aussi des fusils de même type pour son lanceur qui emploiera notamment, on se souvient, la fameuse grenade DR. Il n'est pas non plus nécessaire de rappeler les nombreuses modifications d'armes d'épaule en arme de signalisation qui montre bien ce besoin incessant de pallier aux manques criants de l'Armée française dans certains domaines, notamment en matière d'artillerie de tranchée.
Ainsi, cette invention parmi tant d'autres, même si elle n'a connu qu'un usage bref, a su dans l'attente de matériels plus évolués, répondre aux besoins de pauvres bougres, les poilus, et se révéler pour eux comme un nouveau compagnon "de jeu" et ce jusqu'en 1916, date à laquelle semble t'il ce matériel fut abandonné !



Position de tir de mortiers en batterie dans une tranchée.


Nous pouvons donc dire que le fusil spécial Guidetti fut d'une grande utilité au début du conflit, là où la guerre de tranchées, avec les conditions terribles qu'on lui connait et dans laquelle les soldats se sont enlisés, ne laisse que très peu de place à des pièces issues de l'artillerie de campagne. Ainsi, cette arme nouvelle permit tant bien que mal de répondre aux tirs incessants des fantastiques Minenwerfers allemands et d'asseoir notamment sa volonté d'imposer à l'adversaire sa supériorité de feu.



Trois soldats français qui, quelque part en Lorraine, s'apprêtent à faire feu avec un lance-bombes Guidetti..









Sources:
- Les engins de tranchées ( Guide du grenadier-Bombardier ) par le lieutenant Gay - Mai 1917
- Instruction sur le dressage des grenadiers dans les centres et dépôts de toutes Armes - Paris, 15 Mars 1919
- Les grenades françaises de la grande guerre - Patrice Delhomme, 15 Avril 1984
- Fiche technique du fusil d'infanterie de 11mm GRAS - Site internet Armement réglementaire français à travers les âges ( http://armesfrancaises.free.fr/ )
- Le fusil Guidetti pour grenades de 65mm et de 77mm par Henry Bélot

Photographies:
- Archive et collection personnelle
- Jérémie Raussin
- José Baugeard
- Artilleur
- Daniel Petit
- Patrice Lamy
- Maxime Delahaye



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